SAINTE MARIE DE LA MER
LES COMPAGNONS DU CHRIST EN PROVENCE
Sept amis du Christ : Lazare, le ressuscité ; Maximin, l'un des disciples ; Marthe et Marie-Madeleine, sœurs de Lazare ; Marie femme de Cléopas, sœur ou belle-soeur de la Vierge, mère de Jacques le Mineur (ou Marie-Jacobé) ; Salomé, mère de saint Jean et de saint Jacques le Majeur, appelée, par suite d'une double erreur, Marie-Salomé ; Sarah, leur servante, chassés sur mer par les Juifs, abordèrent, en une ou deux fois, le rivage provençal. Ils auraient évangélisé le pays.
Saint Lazare aurait été le premier évêque de Marseille et saint Maximin le premier évêque d'Aix ; sainte Marthe serait partie pour Tarascon ; sainte Marie-Madeleine, retirée dans une grotte de la Sainte-Baume, près de Marseille, y aurait fini ses jours après trente ans de pénitence ; Marie-Jacobé, Marie-Salomé et Sarah seraient mortes aux Saintes-Maries-de-la-Mer.
En tous ces lieux de leur histoire, leurs reliques sont vénérées.
La Sainte-Baume, qui a vu son sanctuaire restauré au dix-neuvième siècle par les Dominicains de Lacordaire, attire de nombreux pélerins et des milliers d'artistes ont représenté Madeleine pénitente, saint Lazare à Marseille, saint Maximin à Aix, sainte Marthe à Tarascon, font l'objet d'un culte assidu. Mais c'est le culte des Saintes-Maries, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, qui donne lieu au pélerinage le plus passionné comme le plus pittoresque.
En juillet 1448, le bon roi René écrivit au pape Nicolas V pour lui demander la permission de reconnaître et lever solennellement dans l'église de Notre-Dame-de-la-Mer les corps des saintes Marie-Jacobé et Marie-Salomé. Le Pape acceuillit favorablement cette demande et chargea Robert Damien, archevêque d'Aix, du soin de procéder à la recherche des reliques. On commença les fouilles en présence d'un notaire et d'un envoyé du monarque. Les travailleurs rencontrèrent vite une chambre pleine d'ossements. Au-dessus du maître-autel on découvrit deux corps les mains croisées sur la poitrine qui répendaient une bonne odeur, et René crut avoir trouvé les restes des saintes femmes venus autrefois de Palestine et d'ailleurs. Divers témoins vinrent affirmer que, de tout temps, on avait, dans le pays, cru à ce débarquement des Saints de Provence. A ces deux saintes, on ajouta bientôt Sarah, leur servante ; nous verrons plus loin l'importance de celle-ci.
Le grand pélerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer est, de nos jours, une des grandes dates du calendrier provençal ; il attire une foule nombreuse et pittoresque, chaque année, les 24 et les 25 mai.
Le 24 mai, durant les vêpres, les châsses descendent de la chapelle haute où elles sont déposées toute l'année ; elles font leur apparition aux yeux des fidèles par une petite fenêtre qui fait communiquer l'église haute avec le choeur. C'est le moment solennel qui, en quelque sorte, ouvreles fêtes. Il n'y a guère que des voisins, Français ou gitans, venus de Provence, du Comtat ou des lisières du Languedoc, très peu de touristes.
La foule, massée dans l'église, une église fortifiée, robuste, presque sans fenêtres, chante, sans arrêt et sans orgues, des cantiques : O grandes saintes Marie est le plus populaire. Les prêtres se relaient, dirigeant de la main les voix des pélerins qui, patiemment, attendent les châsses. Quand elles descendent, qui peut les toucher en prononçant un vœu voit celui-ci exaucé.
Quatre heures sonnent : les caisses de bois noires recouvertes de plaques de métal sur lesquelles sont retracées les scènes de l'admirable et touchante légende, avancent, soutenues par deux câbles. Tous veulent être auprès d'elles.La bousculade est affreuse, on crie, on urle, on acclame la double châsse qui, lentement, fait son entrée dans le choeur, tandis que les cierges grésillent et que leur odeur des bouquets monte, puissante dans la chaleur de l'église. Puis la grande tempête se tait, les prêtres montent en chaire, c'est l'heure des sermons, des panégyriques.
Devant l'église, mais du côté de la mer, les forains se sont installés, car le pélerinage est une fête, comme au moyen âge où, devant un sanctuaire célèbre, se pressaient les échoppes des humbles vendeurs de bibelots et d'insignes. Aux Saintes-Maries on vend des chapelets, des médailles, des chromos et bien d'autres objets qu'on est un peu surpris de trouver là. Des « gardians » de Camargue sont là avec les filles d'Arles.
Durant toute la nuit, le pélerinage continue mais, cette fois, s'installe. Toute la nuit, jusqu'à l'aube, les pélerins se confesseront dans l'église où les cierges piquent, dans l'obscurité, leur note de feu.
Mais ces heures nocturnes, ce mystère dans la pénombre de l'église aux masses lourdes, sont réservés aux gitans ; eux, viennent pour sainte Sarah qui repose dans la crypte, cellule de pierre, dépouillée de tout ornement, avec tout juste, un autel nu. Dans cette sorte de cachot à peine éclairé, la châsse de la patronne des bohémiens gît, dans un coin, éclairée par une herse de chandelles dont beaucoup proviennent, dit-on, de l'étage supérieur et ont été adroitement changées de place par les mains agiles et brunes des zingaras !
Les bohémiens de Béziers (ceux-ci, à présent, sont inscrits dans une mairie) ont, avant cette guerre, offert une châsse neuve à la petite Sarah. Durant la veillée, des jeunes gens au teint bronzé qui, en temps normal, vendent des guéridons ou des paniers d'osiers, orgueils des maisons rurales, se tiennent debout, montant la garde. Peu de taches claires dans cet ensemble de gitans, mais des yeux qui flamboient, des yeux habitués à regarder le client possible ou la poule qui, le soir, permettra aux habitants de la roulotte de faire un diner passable.
Le 25, au matin, les statues des Saintes, placées dans une barque, sont portées en procession à la mer, sur un brancard escorté par le clergé et gardé par les gardiens à cheval, trident en mains ; ce sont les gitans qui les portent sur leurs épaules. « Vivent les Saintes Maries ! Vive sainte Sarah ! » crient les assistants. Les chevaux camarguais trouent la foule. Les cavaliers avancent dans la mer et forment un demie-cercle, face à la terre ; le brancard fleuri, les saintes, les gitans entrent aussi dans l'eau jusqu'au ventre. L'archevêque d'Aix, qui préside la fête, est debout dans une barque. Les zingaras plongent la main dans l'onde et, rituellement, aspergent les saintes. Le prélat lève le reliquaire d'or qui amplifie son geste de bénédiction. L'esquif s'éloigne un peu, très peu, du rivage, des doigts se lèvent, la procession est terminée...
A la fin de l'après-midi, on remonte les châsses qui reprennent leur place dans l'église supérieure ; mais cette cérémonie plus simple attire beaucoup moins de monde. Puis, c'est la fête profane avec ses bruits, sa verve populacière ; et le pèlerin, apeuré, fuyant ce spectacle, peut murmurer les beaux vers de Mistral :
O bèlli Santos, segnouresso
De la planura d'amaresso,
Clafissès, quand vous plais, de pèis nôsti fielat :
Mai, à la foulo pecadouiro
Qu'à vosto porto se doulouiro,
O blànqui flour de la sansouiro,
S'èi de pas que iè fau, de pas emplissès la !
O belles saintes, souveraines, de la plaine d'amertume, vous comblez, quand il vous plaît, de poissons nos filets : mais à la foule pécheresse, qui à votre porte se lamente, ô blanches fleurs de nos landes salées, si c'est la paix qu'il faut, de paix emplissez-là !
daniel.guerisseur.spirituel@gmail.com
DECORTE Daniel, lieu dit Sévirac, 34390, Colombières Sur Orb - 06.81.04.20.13