Sainte Thérèse De Lisieux

SAINTE THERESE DE L'ENFANT JESUS

 

Le 30 septembre 1897 mourait au Carmel de Lisieux une jeune religieuse de vingt-quatre ans dont la vie, en apparence, avait été toute simple. Elle était cependant celle dont le sanctuaire allait attirer, sans cesse plus dense, la foule des grands pèlerinages, la sainte française des temps modernes dont l'intercession devait se montrer la plus féconde.

Ce fut le deux janvier 1873, à onze heures du soir, que la petite fille Thérése vint au monde. Le foyer de ses parents comptait déjà quatre filles dont l'ainée avait treize ans : Marie, Pauline, Léonie et Céline. Quatre autres enfants étaient morts. Thérèse fut baptisée le surlendemain et reçut les prénoms de Marie-Françoise-Thérèse. Son père Louis Martin et sa mère Zélie Guérin avaient rêvé dans leur jeunesse de se consacrer à Dieu ; ils avaient conservé de leurs premières aspirations une fois ardente, une piété et une honnêteté que tout le monde louait ; ils dirigeaient à Alençon une fabrique de dentelle qui leur donnait une agréable aisance.

Dès sa première année, Thérèse tomba dangereusement malade, et les médecins crurent un moment qu'elle ne survivrait pas ; ils conseillèrent l'air et la campagne, et Thérèse fut envoyée au petit village de Semallé, à quelques kilomètres d'Alençon, chez de braves paysans dont la famille se composait du père, le «  père Moise », de la mère, « la petite Rose », et de quatre enfants. Bientôt Thérèse pu revenir chez ses parents en parfaite santé : elle avait quinze mois. C'était une petite fille blonde, espiègle, gaie et déjà portée à la piété : « A partir de l'âge de trois ans, dit-elle, je n'ai rien refusé au bon Dieu. » Elle adorait ses parents et elle était l'enfant choyé de la famille. Son père l'appelait sa « petite Reine » et lui aurait passé tous ses caprices si Thérèse en avait eu. Mais déjà elle savait se dominer et cherchait par tous les moyens à offrir à Dieu des sacrifices de toutes sortes. « C'est une enfant, écrivait Mme Martin, qui nous donne à tous bien des joies. Elle est d'une franchise extraordinaire. C'est charmant de la voir courir après moi pour me faire sa confession : « Maman, j'ai bousculé Céline une fois ; je l'ai battue une fois ; mais je ne recommencerai plus. » La petite Thérèse sut de bonne heure également réprimer son entêtement et son amour-propre. « Que j'étais heureuse à cet âge, dit-elle. Non seulement je commençais à jouir de la vie, mais la vertu avait pour moi des charmes. Je me trouvais, il me semble, dans les mêmes dispositions qu'aujourd'hui, ayant déjà un très grand empire sur toutes mes actions. »

 

A quatre ans, elle eut le grand malheur de perdre sa mère. Celle-ci mourut le 18 août 1877, à l'âge de quarante six ans. La mort de sa mère fut pour la petite fille une grande épreuve. Son caractère changea ; elle devint timide et si sensible qu'un regard seul la faisait fondre en larmes.

 

Quelques mois plus tard, M. Martin se retira des affaires pour aller vivre à Lisieux et se rapprocher ainsi de la famille maternelle de ses filles. Il comptait sur sa belle-soeur, Mme Guérin, pour guider dès le début de leur vie, ses filles encore si jeunes : l'ainée, Marie, venait d'avoir dix-huit ans. Les Guérin avaient deux filles, Jeanne et Marie. Cette dernière devait plus tard rejoindre Thérèse au Carmel.

 

Dès leur arrivée, Céline, la confidente de Thérèse, entra comme demi-pensionnaire à l'abbaye des Bénédictines, avec Léonie. Thérèse resta aux buissonnets, la propriété que M. Martin avait louée à Lisieux, avec son père, Marie et Pauline. Ce fut cette dernière qui se chargea de son éducation première, lui apprit à lire et la dirigea avec fermeté et douceur. Ces années laissèrent dans l'esprit de Thérèse une impression ineffaçable : « Cette riante habitation, dit-elle, devint le théâtre de bien douces joies, de scènes de famille inoubliables. »

 

A huit ans et demi, elle entra à son tour au pensionnat des Bénédictines ; elle s'y sentit seule et malheureuse, et sa tristesse fut encore augmentée par le départ de sa sœur Marie pour le Carmel. « Comment pourrai-je dire l'angoisse de mon cœur ? En un instant la vie m'apparut dans toute sa réalité : rempli de souffrances et de séparations continuelles et je versai des larmes bien amères. J'ignorais alors la joie du sacrifice ; j'étais faible, si faible que je regarde comme une grande grâce d'avoir pu supporter sans mourir une épreuve en apparence bien au dessus de mes forces. »

 

Ce fut le deux octobre 1882 que Pauline entra au Carmel. Elle y prit le nom de sœur Agnès de Jésus. Cette séparation et la solitude dont elle souffrait au couvent ateignirent gravement la santé de Thérèse. Elle tomba malade ; elle avait des angoisses terribles, des hallucinations. On désespérait de la guérir. Un jour même, elle ne reconnut pas ses sœurs. Celle-ci, effrayées, se jetèrent aux pieds d'une petite statue de la Vierge et l'implorèrent : « Ma sœur chérie, écrit Thérèse en parlant de Marie, s'agenouilla en pleurant au pied de mon lit et se tournant vers la Vierge, bénie, elle l'implora avec la ferveur d'une mère qui demande, qui veut la vie de son enfant. Léonie et Céline l'imitèrent, et ce fut un cri de foi qui perça la porte du Ciel. Ne trouvant aucun secours sur la terre, je m'étais aussi tournée vers ma mère du Ciel, la priant de tout mon cœur d'avoir enfin pitié de moi. Tout à coup, la statue s'anima. La Vierge Marie devint belle, si belle que jamais je ne trouverai d'expression pour rendre cette beauté divine. Son visage respirait une douceur, une bonté, une tendresse ineffable, mais ce qui pénétra jusqu'au fond de l'âme, ce fut son ravissant sourire. La Sainte-Vierge s'est avancée vers moi, elle ma souri. « Que je suis heureuse ! » pensai-je. Mais je ne le dirai à personne, car mon bonheur disparaîtrait. »

 

A partir de ce jour, toute trace de la maladie disparut. Thérèse fit sa première communion : « Ah ! Qu'il fut doux le premier baiser de Jésus à mon âme, s'écrie-t-elle. Oui, ce fut un baiser d'amour ! Je me sentais aimée et je disais aussi : « Je vous aime, je me donne à vous pour toujours. » Jésus ne me fit aucune demande, il ne réclama aucun sacrifice. Depuis longtemps déjà Lui et la petite Thérèse s'étaient regardés et compris... Ce jour-là, notre rencontre ne pouvait plus s'appeler un simple regard, mais une fusion. »

 

Pendant la retraite de seconde Communion, Thérèse connut la terrible maladie des scrupules. « Dire ce que j'ai souffert pendant près de deux ans me serait impossible. Toutes mes pensées et mes actes les plus simples me devenaient un sujet de trouble et d'angoisse. » Cette souffrance perpétuelle finit par la rendre malade et, à treize ans, on dut la retirer de pension. Elle suivit des leçons particulières et fut admise parmi les Enfants de Marie l'année où sa sœur aînée, à son tour, entra au Carmel. Léonie était entrée à la Visitation. Thérèse restait seule avec son père et Céline.

 

Déjà elle s'était informée de la règle du Carmel. Déjà, à neuf ans, elle s'était présentée à la Mère Prieure en lui demandant de l'agréer comme postulante. Sa sœur Agnès de Jésus l'encourageait dans sa vocation ; Marie la trouvait trop jeune encore. Après quelque hésitation, elle se résolut d'en parler à Céline. Celle-ci, qui elle aussi se sentait appelée par Dieu, accepta de se sacrifier et consentit à laisser partir Thérèse avant elle et à demeurer avec leur père jusqu'à sa mort.

 

C'était à ce dernier qu'il était le plus difficile de parler. Thérèse savait que le sacrifice de sa fille serait pénible à ce père qui l'aimait tant et dont elle était la préférée. Elle décida de le faire pourtant et choisit le jour de la Pendecôte ; elle allait avoir quatorze ans. C'était le soir après les vêpres. M. Martin était assis dans le jardin, les mains jointes, regardant le soleil descendre sur la campagne. Thérèse sans mot dire alla s'asseoir près de lui, les yeux déjà mouillés de larmes. Le père attira sa fille contre son cœur : « Qu'as-tu, ma petite Reine, lui dit-il, dis-moi cela. » Il se leva, tenant toujours sa fille appuyée contre lui, et se mit à marcher lentement. Alors Thérèse lui confia son grand désir d'entrer au Carmel. M. Martin ne dit rien pour détourner sa vocation ; il objecta seulement son jeune âge mais, devant la fermeté de sa fille, il fut rapidement convaincu. L'oncle de Thérèse, M. Guérin, se montra moins compréhensif. Il pensait que c'était une folie que de laisser entrer au couvent une enfant de cet âge. Cependant, au bout de longues semaines d'attente, il fut gagné à son tour. L'objection la plus précise vint du Carmel où l'on répondit à Thérèse qu'elle ne pourrait entrer avant sa majorité.

 

Thérèse désolée, mais toujours guidée par sa vocation irrésistible, n'hésita pas à aller voir avec son père Mgr Hugonin, évêque de Lisieux ; mais celui-ci refusa la permission.

 

  1. Martin décida de partir pour Rome avec ses deux filles. Thérèse était décidée à parler au Souverain Pontife. Le voyage fut merveilleux mais la petite sainte ne faisait guère attention aux beautés de la Ville éternelle, si ce n'est pour baiser les endroits où s'était répendu le sang des martyrs. Elle attendait surtout l'entrevue avec le Saint-Père. Elle fut enfin reçue par Léon XIII en même temps que les autres pèlerins ; malgré la défense qui en avait été faite, la jeune fille, lorsqu'elle approcha du Souverain Pontife, osa lui présenter sa requête. La réponse ne décida rien : « Attendez la volonté de Dieu », avait répondu Léon XIII. Ce voyage fut pour elle une grande épreuve ; elle n'en rapporta que l'amertume de son échec.

 

A son retour, sa premièr visite fut pour le Carmel. Elle attendit encore une décision. Enfin, la Mère Prieure lui avoua qu'elle avait reçu depuis quelques semaines déjà l'autorisation de Mgr Hugonin. Thérèse dut encore attendre Pâques, et ce fut seulement le neuf avril 1888 qu'elle entra au Carmel.

 

Dès son entrée au couvent, elle subit de grandes épreuves. Sans cesse humiliée, sans cesse mortifiée, sa sensibilité extrême sans cesse mise en échec, elle dut encore attendre de longs mois avant d'être admise à la vêture et ce fut le huit septembre 1890 seulement qu'elle prononça ses vœux, sous le nom de sœur Thérèse-de-l'Enfant-Jésus- et-de-la-Sainte-Face.

 

La mort de son père, le vingt-neuf juillet 1894, fut encore pour elle un immense chagrin. Depuis quelques années déjà, M. Martin était atteint de paralysie générale et ne pouvait plus venir la voir au parloir. Il avait passé ses dernières années comme un saint, ne cessant de remercier Dieu d'avoir choisi toutes ses filles pour épouses.

 

Jusqu'à sa fin, la petite sœur Thérèse souffrit de l'incompréhension, de la dureté qui lui étaient imposées, sans le vouloir peut-être, par sa supérieure et les autres sœurs. « Je vous remercie, ô ma mère, écrit-elle, de ne m'avoir pas ménagée ! Jésus savait bien qu'il fallait à sa petite sœur l'eau vivifiante de l'humiliation. C'est à vous qu'elle doit cet inestimable bienfait. »

 

« La charité, avait-elle écrit, en parlant de ses premières années, entra dans mon cœur avec le besoin de m'oublier toujours, et depuis lors je fus heureuse. » Le neuf juin 1895, elle s'offrit « en victime d'holocauste à l'amour miséricordieux du bon Dieu ».

 

Le jeudi saint de 1896, elle rentra à minuit dans sa cellule, après ses prières. A peine s'était-elle étendue qu'elle sentit un flot si étouffant lui monter à la tête, qu'elle pensa mourir. Mais le lendemain, en examinant son mouchoir, elle le trouva plein de sang. Le jour suivant, le même signe avertisseur se répéta. « J'étais intimement persuadée que mon bien-aimé, ce jour anniversaire de sa mort, me faisait entendre le premier appel, doux comme un lointain murmure qui m'annonçait son heureuse arrivée. »

 

Quelques semaines avant sa mort, elle annonça la mission dont elle s'était sentie chargée : « Je sens que ma mission va commencer. Ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l'aime, de donner aux âmes ma petite voie de confiance et d'abandon. Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre. Ce n'est pas impossible, puisqu'au sein même de la vision béatifique les anges veillent sur nous. Non, je ne pourrai prendre aucun repos jusqu'à la fin du monde ! Mais lorsque l'ange aura dit : « Le temps n'est plus » ; alors je me reposerai, je pourrai jouir, parce que le nombre des élus sera complet. »

 

La petite sœur Thérèse avait fait sa règle de vie spirituelle de la parole de Jésus : « Le royaume des Cieux appartient aux enfants et à ceux qui leur ressemblent. »

 

Elle avait en effet, d'eux, la confiance, la tendresse, l'abandon complet. Elle avait les fonctions de maîtresse des novices mais elle en avait refusé le titre. Celles qui eurent le bonheur d'être formées par ses soins ont toutes été frappées de sa douceur, de sa charité, de sa simplicité. « Je l'admirais beaucoup, écrit l'une d'elles, et toutefois je désirais la voir dans une occasion difficile afin de porter sur elle un jugement définitif. Cette occasion se présenta bientôt, notre Révérende Mère nous ayant demandé un travail fatigant et sujet à mille contradictions. J'avoue que je me permis malicieusement de lui en augmenter la charge, mais je ne pus un instant la trouver en défaut. Je la vis gracieuse, aimable, ne comptant pas avec la fatigue. S'agissait-il de se déranger, de servir les autres ? Elle se présentait toujours. A la fin n'y tenant plus, je me jetai dans ses bras et lui confiai les sentiments qui avaient agité mon âme.

 

« - Comment faites-vous, lui dis-je, pour pratiquer ainsi la vertu, pour être constamment joyeuse, calme et semblable à vous-même ?

 

«  - Je n'ai pas toujours fait ainsi, me répondit-elle, mais depuis que je ne me recherche jamais, je mène la vie la plus heureuse qui se puisse voir.

 

«  Deux mois avant sa mort, entendant louer sa patience, il me vint un jour en la visitant, le désir de la surprendre en un moment de crise. Au même instant, son visage prit une expression de joie et s'anima d'un céleste sourire. Je lui demandai quelle pouvait en être la cause. «  C'est, répondit-elle, parce que je ressens une très vive douleur. Je me suis toujours efforcée d'aimer la souffrance et de lui faire bon accueil. » Ah ! Cette fois, je n'en demandai pas davantage. Je savais à quoi m'en tenir sur la sainteté de cette âme. Quelle grâce inappréciable le bon Dieu m'a faite de me rapprocher d'une telle sainte. Que je lui suis redevable ! Que je l'aime ! »

 

Une nouvelle épreuve attendait la petite sœur Thérèse. Du seize août au trente septembre, il lui fut impossible de recevoir la sainte Communion. Le trente juillet, elle reçut l'extrême-onction. Mais elle devait encore souffrir de longs mois, et subir de grandes angoisses.

 

Enfin le dernier jour se leva. « Ma Mère, dit-elle à sa Supérieure, le calice est plein jusqu'au bord. Je n'aurais jamais cru qu'il fût possible de tant souffrir ! Je ne puis m'expliquer cela que par mon désir extrême de sauver les âmes ! Je ne me repens pas de m'être livrée à l'amour ! »

 

A quatre heures et demie, elle entra en agonie. Ses dernières paroles furent d'une résignation admirable : « Oh ! Je ne voudrais pas moins souffrir ! » murmura-t-elle. Puis en regardant son crucifix : « Oh ! Je l'aime... Mon Dieu !... je... vous... aime ! » Elle expira en prononçant ces paroles, celles qu'elle disait à Dieu depuis son enfance. C'était le trente septembre 1897. La petite sainte avait vingt-quatre ans.

 

Aussitôt il se produisit dans le couvent certains faits extraordinaires. Une religieuse converse lui baisant les pieds et y appuyant son front, fut instantanément guérie d'une anémie cérébrale. Une autre, entrant dans sa cellule, y sentit un vif parfum de violettes, et se souvint qu'elle en avait donné une fleur autrefois à la sœur Thérèse.

 

Sur l'ordre de la Mère Prieure, sainte Thérèse avait écrit l'histoire de sa vie. Celle-ci fut publiée d'abord pour les Carmels et se répandit ensuite dans le public sous le titre : Histoire d'une âme. Dès lors, la « pluie des roses » des grâces commença à tomber, comme elle avait promis. Dès 1902, des guérisons miraculeuses sont obtenues ; puis les miracles se multiplient. En juillet 1910, la cause de béatification et de canonisation fut instruite. La petite Thérèse de Lisieux fut programée sainte par Pie XI, en mai 1925.

                                               

                                              daniel.guerisseur.spirituel@gmail.com

 

DECORTE Daniel, lieu dit Sévirac, 34390, Colombières Sur Orb - 06.81.04.20.13